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14e EDITION DE LA BIENNALE DE DAKAR - DU 19 MAI AU 21 JUIN 2022




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Ni Barça Ni Barsak "

Sculpturale Monumentale d'Ousmane DIA
DOXANTU de la 14e édition de la Biennale de l'Art Africain Contemporain - DAK'ART 2022


Octobre 2005, des migrants prennent d’assaut la seule frontière terrestre qui sépare l’Afrique de l’Europe. Nous sommes au nord du Maroc à la hauteur des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. L’opération se solde par une quinzaine de morts. L’opinion s’émeut. Cela arrive souvent quand ce que vous voulez ôter de votre regard s’impose à vous, les yeux fermés

En réalité, ces stratégies désespérées de pulvériser les frontières de l’Europe ne sont pas nouvelles.
Elles résultent du durcissement des mesures d’entrée dans les pays de transit et d’accueil au début des années 2000.
La migration irrégulière est vieille tout comme la migration régulière.
Mais elle a pris des proportions plus hardies que ne semblent pas freiner tous les drames relayés.
Quand les conditions climatiques semblent plus clémentes. Ils sont nombreux à prendre le désert du Maghreb pour rallier le nord de l’Afrique.
D’autres prennent la mer.
Pour survivre ou pour aspirer à vie meilleure, des Africains continuent d’emprunter des embarcations de fortune ou d’utiliser d’autres moyens illégaux et dangereux pour rallier l’Europe, supposée être l’Eldorado.

Mamadou Oumar Fall, fils de Soukeyna Naam, indique qu’il a pris la mer parce qu’il veut honorer se mère vendeuse de légumes au marché Sandika de Pikine.
Amadou Koulé Bâ, fils de Sophie Bâ, a pris la mer parce qu’il veut un jour amener sa mère à la Mecque.
Latsouk Thiam, fils Khady Lam a pris la mer parce qu’il ne supporte plus de voir sa mère pleurer car son unique progéniture n’a pas les moyens d’avoir une conjointe.
Ousmane Sembène, fils de Soukeu Ndiaye est un travailleur de la mer qui ne voit plus de poisson. Il voudrait construire pour sa mère un toit dans la concession familiale…
Ces inconnus qui sombrent sur les voies de l’inconnu ont des noms. Il faut les nommer, leur donner corps.
Ils sont montés à bord de la frêle embarcation surchargée de Ousmane Dia. Pris au piège des flots, ils se contorsionnent car ils savent qu’ici s’arrête leurs rêves.
L’artiste saisit ainsi ce moment précis où la pirogue de migrants est à demi submergée. Par un jeu d’accumulations et d’entrelacs, il restitue avec la puissante d’évocation du métallique maîtrisé ce moment d’effroi.
La clameur s’échappe de sa sculpture. Elle se prolonge en écho dans nos consciences.
Aucun trait n’est visible et lisible. Ses personnages ont des têtes-chaises.
La chaise est une symbolisation du pouvoir, du pouvoir de l’intellect sur la destinée du corps.
A la place des chaises, des visages prennent formes, glacés de peur.
Il ne reste plus que la stupéfaction après des jours de souffrances surmontées par l’espoir.

Et pourtant au début, même s’ils laissent une partie d’eux-mêmes sur leur terre d’origine, ils étaient comme les triomphateurs de José Maria de Hérédia : « Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal. » (1)

Ils se sont égarés comme ces conquérants, à la différence près que leur ivresse s’est transformée en cauchemar

Échappatoire à la misère et à la terreur, seule porte vers un exil supposé libérateur, la mer présente dans « Ni Barça Ni Barsak » probablement une chimère salvatrice mais assurément une entreprise destructrice.
Ousmane Dia ne veut pas d’un choix entre Barça (l’Espagne/l’Europe) ou Barsak ( l’au-delà ).

« Barça ou Barsak ! », c’est le cri de ralliement sur le fil du rasoir de ces forces motrices de l’Afrique. Ils expliquent leur choix suicidaire par le fait que le cabri mort n’a pas peur du couteau. Cette option est réversible, à l’analyse.
L’Afrique est un continent qui a l’un des plus forts potentiels humain, naturel, historique…
Oui, historique : pensons à la charte du Mandé voire à la ville de Tombouctou créée par les Touaregs au XIe siècle décrite par l’auteur du Tarikh es-Soudan comme « une ville exquise, pure, délicieuse, illustre, cité bénie, plantureuse et animée » (2)
Ceux qui ont voulu la présenter comme un continent sans histoire voulaient à dessein l’asservir. Et il y a des intellectuels, voire des supposés philosophes de l’Esprit, qui ont essayé de l’enfermer dans une seconde d’histoire alors que l’humanité a un cours moyen de plusieurs décennies.
Ousmane Dia refuse et réfute cette fatalité ambiante et fanfaronne.
Ni Barça Ni Barsak est un doigt pointé. Plutôt deux doigts pointés par deux personnages (un adulte et un enfant) qui semblent être les plus éloignés de l’eau dans l’esquif qui sombre. L’un indexe l’Occident. L’autre, l’Afrique.

La vie se dérobe sous les pieds des naufragés. Sauf miracle, ils iront paver les fonds marins de l’attelle gigantesque d’ossements de cette partie de l’Atlantique.
Sur un autre axe et du 15 e au 19 e siècle, un autre interminable et insoutenable pavé d’ossements a jalonné les chemins de l’esclavage de l’Atlantique aux Amériques.
Ousmane Dia remet en scelle toutes ces perspectives en martelant le fer. Il dit « non !» : « Pointons du doigt la responsabilité de nos dirigeants complexés, incapables de mettre en place des projets de développement pour maintenir les jeunes sur le sol africain avec tout ce que nous avons comme ressources et compétences ».

Il passe également au crible l’autre partie qui se livre à un véritable festin de nécrophages : « L'Occident profite de cette misère, car les Occidentaux créent du travail pour leurs concitoyens autour de l'émigration clandestine. L’agence européenne des garde-frontières et des garde-côtes, Frontex, avec ses milliards de budget (son budget est passé de 6 millions d’euros en 2005 à 750 millions en 2022) n’emploie que des Toubabs et viole régulièrement les droits humains. Je vous cite en référence la presse (1) ! »

Assurément, Ousmane Dia a forgé son œuvre avec le feu de l’indignation. Il dit également : « Des soi-disant experts Toubabs sont envoyés au Sénégal pour des projets de formation d'une dizaine de jours. Ce fut le cas à Tambacounda, par exemple, avec une formation en entreprenariat de douze jours, organisée en partenariat avec l’Organisation internationale pour les migrants (OIM) et l’ONG italienne VIS (volontariat international pour le développement. C'est de la poudre aux yeux ! Car même en une année on ne peut pas former un artisan qui pourrait concurrencer un artisan européen.
Pourquoi nos états ne peuvent pas contrôler les projets proposés pour les Africains et définir les besoins ? Que font nos gouvernants et nos élites ? Au final, les principaux responsables de ce drame sont nos gouvernants et les Occidentaux »…

Ni Barça, Ni Barsak.
Il nous faudra, avec lucidité, politiquement, économiquement, historiquement, socialement accompagner ce « non !» au retentissement ferrugineux
 !

Massamba MBAYE, critique d’art, commissaire d'exposition, Dakar - Sénégal

Références
(1) HEREDIA, Jose Maria de,  « Les conquérants », Les trophées, Paris, Gallimard, 1981 [1893].
(2) SA’DI, Abderrahman es-.Tarikh es-Soudan.Trad. de l’arabe par O.Houdas(1900).Paris :E.Leroux
(3) https://lecourrier.ch/2022/04/14/frontex-agence-sous-enquete/
)

 


" Ni Barça Ni Barsak "
- 6,25 mètres - Ousmane DIA - 2022

 


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