MATURITE
Ousmane DIA a décidé de marquer le début de cette nouvelle année en nous offrant sa première exposition en solo, dans son pays natal.
Il l’a, fort à propos, intitulée « Maturité » car elle constitue une sorte d’aboutissement de son processus créatif, une forme de quintessence, apportant des éléments de réponse aux trois questions fondamentales de l’humaine condition, « d’où venons-nous, qui sommes-nous et où allons-nous » !
Dès sa sortie des Beaux-Arts de Dakar en 1997, où ce natif de Tambacounda, dans l’est du Sénégal, était entré sous l’influence de son regretté compatriote et mentor, le peintre Jacob YAKOUBA, Ousmane DIA se dirige vers la Suisse pour un approfondissement de sa formation.
Et il y est resté !
La Suisse, qui est devenu sa deuxième patrie, l’a accueilli, intégré, épousé, et il y partage sa vie entre enseignement et création.
Plusieurs de ses œuvres y ont fait l’objet de commandes publiques et se trouvent dans des espaces (places, ronds-points etc.) d’où chacun peut les contempler et les apprécier.
Ousmane DIA est sculpteur et ne se livre qu’à cette forme d’expression artistique.
Dans le monde des connaisseurs, il est « l’homme des chaises » !
Tout est parti par hasard, comme toutes les grandes passions, peu après son arrivée en Suisse, lorsque cherchant des matériaux de récupération dans une décharge publique, il tomba sur un lot d’une cinquantaine de chaises de camping qu’il emporta.
Encouragé par un de ses enseignants, il découvrit au fur et à mesure toute la symbolique attaché à la chaise, objet de repos, objet convivial, mais qui peut également être trône et donc objet de pouvoir.
Depuis lors, son œuvre toute entière peut s’intituler « variations autour de la chaise », tant celle-ci est omniprésente dans sa production.
L’artiste travaille essentiellement, sinon uniquement, le métal qu’il façonne et assemble dans la gerbe d’étincelles que l’on associe volontiers à cette forme d’activité.
Pour lui, au-delà de nos fatigues passagères et de nos besoins de partage, le fer soutient aussi nos constructions, même s’il est noyé dans le béton, il est à l’origine de tout édifice, véritable colonne vertébrale du monde qui nous entoure.
Mais cette thématique de la chaise métallique, tend à s’estomper, à évoluer, dans l’esprit et la production du créateur.
Longtemps objet même de l’œuvre d’art, elle n’en est plus, et de plus en plus, qu’un accessoire symbolique, qui, de plus en plus souvent, perd son statut de siège sur lequel on peut prendre place, pour devenir une allégorie, une allusion, que l’artiste partage avec nous.
On ne peut plus s’asseoir sur les chaises d’Ousmane DIA !
Pourtant symbole habituel de stabilité, ses chaises s’épurent, prennent leur indépendance et participent de ce déséquilibre de l’ordre du monde qu’elles exaltent ou qu’elles dénigrent.
Leurs pieds d’inégale longueur, ou dont il manque un élément, lorsque ce n’est pas la simple représentation de leur silhouette, montrent assez bien le numéro de funambule et d’acrobate auquel se livre l’artiste, jonglant avec les formes pour leur donner à s’exprimer autrement.
Et ses cascades de chaises miniatures, dans des équilibres de plus en plus incertains, ont la grâce et la légèreté d’une arabesque dans l’espace infini.
Assise et sièges, les chaises deviennent aussi métaphoriquement, ceux de la pensée humaine et font office de cerveau pour les personnages qu’il crée et qui occupent notre espace visuel.
Tel est le cas de l’installation qu’il a choisi de nous proposer, constituée exclusivement de 365 (comme autant de jours de l’année à venir) grands personnage de métal, dans une sorte de mouvement de marche et dont les têtes sont représentées par des chaises.
Tout à leur avancée, ces personnages convergent autour d’un cercle inscrit au sol et qui reprend l’article 10 de notre Constitution :
« Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement par la parole, la plume, l’image, la marche pacifique, pourvu que l’exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l’honneur et à la considération d’autrui, ni à l’ordre public. »
La référence à la Constitution du Sénégal et le choix de cet article ne sont pas le fruit du hasard.
Artiste engagé dans la vie sociale et donc politique, de son pays, il entend magnifier la liberté, sinon même l’obligation, de s’exprimer.
Mais, homme d’ordre dont la vie helvétique n’a fait que parachever la structuration, et de quelle manière, il insiste sur la dernière partie de la phrase : « […] pourvu que l’exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l’honneur et à la considération d’autrui, ni à l’ordre public. »
En convergeant vers cette formule, cette foule de diverses tailles, mais qui a un air d’humanité fraternelle, manifeste et son adhésion à cette vision, et son intention d’en user sans hésitation, mais dans les limites d’auto régulation qui font appel, précisément, à la conscience de soi et de l’autre, de tous les autres, y compris ceux que l’on porte en soi.
La particularité de cette installation que l’effet d’accumulation pourrait rendre oppressante, est qu’elle est « ouverte ».
L’artiste, qui occupe tout l’espace de la Galerie Nationale de Dakar où elle est disposée, n’a pas souhaité qu’on l’appréhende de l’extérieur, mais, bien au contraire, qu’on l’intègre et qu’on s’y intègre, en ménageant des cheminements et des passages au milieu des œuvres.
Œuvre d’art dans laquelle on peut entrer, dans laquelle on peut circuler, dont on peut faire partie intégrante pour converger vers un idéal de liberté, cette installation très forte est tout à la fois à voir et à penser et à pénétrer, faisant du spectateur, sans qu’il en prenne forcément conscience, un acteur, ou mieux, un élément de la construction collective, telle que l’artiste l’a voulue.
Ce n’est pas par hasard s’il l’appelle « La maturité de mon peuple », jouant tout à la fois sur sa maturité artistique d’homme dans la plénitude de sa vie et sur la nôtre.
Il nous fait la démonstration par les actes, de notre propre engagement sur cette voie, parfois complexe, d’une maturité qui est autant la sienne que la nôtre, individu et collectivité.
Où allons-nous ?
Ousmane DIA songe déjà au futur, aux thématiques qui le tenaillent et dont jailliront forcément d’autres œuvres d’une force au moins équivalente.
Il tient à conserver son statut de témoin de son temps et de ses misères, de la violence, de la promiscuité, surtout en univers carcéral, ce grand sujet tabou, mais aussi des joies, trop fugaces, qui sont les nôtres.
A l’image d’un acrobate d’un cirque improbable, il jongle avec les chaises, quand ce ne sont pas elles qui jonglent avec lui, et il poursuit sa route jusqu’à n’être plus qu’un point abstrait, mais lumineux, sur la ligne de l’horizon.
Sylvain Sankalé,
Critique d'art
30 décembre 2017 |